Entretien avec Morgane Erpen

Entretien avec Morgane Erpen pour son exposition « L’empreinte salée du temps »

Dans ton travail on retrouve souvent des préoccupations écologiques et des interrogations autour de l’impact de l’Homme sur la nature. Prolonges-tu ces questionnements dans l’exposition « L’empreinte salée du temps » ?

La perspective d’un avenir où un dialogue entre la nature et l’humain pourrait être instauré sans être dans un rapport de pouvoir et de domination n’entre malheureusement pas dans les prédictions à venir. L’Homme, à force d’avoir voulu dompter son environnement, se retrouve de manière insidieuse de plus en plus dans une posture de soumission, la nature reprenant ses droits, jour après jour. Ce jeu de pouvoir est une préoccupation qui occupe énormément mes pensées et vient donc se refléter dans mon travail.

Dans le cadre de l’exposition « l’empreinte salée du temps », il est question de pièces faisant directement écho à ce grincement – à mes tiraillements internes. L’idée d’un Paris immergé par les eaux à cause du dérèglement climatique, qui révélerait une fois celles-ci s’étant retirées, les vestiges de notre époque contemporaine. J’ai donc pris le parti de travailler des objets issus du quotidien d’un espace de coworking. Ce bureau englouti dans l’eau, cristallisé dans le temps, serait un témoin de notre époque actuelle. Je me questionne, ici, sur ce qu’il restera de notre passage. Mais aussi, j’aimerais sensibiliser sur les traces que nous voulons laisser derrière nous.

Le combat écologique est, selon moi, le plus important et urgent. Cette planète est notre maison à tous et l’avenir de l’humanité est intrinsèquement lié à l’état de notre environnement. Les combats sociaux, économiques et politiques sont en effet conditionnés à un espace écologique viable pour les revendiquer.

Malheureusement, l’être humain étant d’après-moi de nature égoïste, il est difficile qu’un dialogue plus équilibré entre l’homme et la nature puisse se développer à l’avenir. Pour cela, il nous faudrait être disposé à faire des choix plus responsables et à adopter des pratiques plus durables, qui seraient certainement contraignantes, et l’homme après avoir connu le confort, il lui devient difficile de le quitter.

L’être humain a tendance à agir en fonction de ses intérêts personnels et à chercher à maximiser son confort et son bien-être, même si cela peut avoir des conséquences négatives pour l’environnement et les autres êtres vivants. Toutefois, l’être humain est capable de changer ses comportements et de prendre des décisions plus durables, si cela est perçu comme bénéfique pour lui et pour la société dans son ensemble. Pour encourager de tels changements, il est important de sensibiliser les gens aux enjeux environnementaux et de leur montrer que des alternatives durables sont possibles et peuvent être bénéfiques. Cela peut impliquer l’adoption de nouvelles technologies, la mise en place de politiques incitatives ou l’encouragement à des comportements plus durables au niveau individuel. Je souhaite que l’art puisse être un vecteur de prise de conscience.

Dans tous les cas, le changement ne se fera pas du jour au lendemain, et il faudra du temps pour que l’humanité adopte des pratiques plus durables et plus respectueuses de l’environnement. Même si, avec des efforts soutenus et une prise de conscience croissante, il serait possible de réduire l’impact de l’activité humaine sur la nature et d’instaurer un dialogue plus équilibré et harmonieux avec elle, aurions-nous le temps ? J’en ai malheureusement, l’impression que non. Ce qui m’amène à me retrouver à développer bien souvent des scénarios apocalyptiques et de nature fataliste en ce qui concerne la place de l’homme.

 

En imaginant la montée des eaux engloutissant Paris, l’exposition évoque une « archéologie du futur » un peu dystopique… utopie/dystopie, quelle place ces notions ont-elles dans ton travail ?

J’ai une vision relativement sombre quant à l’avenir réservé à l’humanité. En revanche, je suis très optimiste en ce qui concerne la nature et son renouveau. J’aime donc jouer des traces imaginaires (ou non) laissées par notre civilisation, et je suis aussi curieuse d’imaginer de nouveaux écosystèmes qui pourraient émerger.

La résilience végétale est souvent présente dans mon travail, comme dans la pièce « carduus », où une plante aurait développé de nouvelles facultés pour persister dans un environnement devenu hostile. La fleur à l’ère anthropocène. Je pose alors la question de l’épuisement de la nature par l’homme en donnant la faculté à des chardons d’expulser du feu.

Je joue également constamment avec des éléments naturels et artificiels, en adéquation avec une présence humaine et naturelle/végétale qui viendraient s’entremêler. Dans la série « future fossils », des matières plastiques dialoguent avec des éléments végétaux, tous deux capturés dans un fossile imaginaire. Dans « l’empreinte salée du temps », j’emploie de la céramique qui se retrouve couverte de cristaux de sel.

 

Justement, c’est une première pour toi de travailler la céramique, pourquoi avoir choisi ce médium ?

Je souhaitais travailler une matière qui évoque la fragilité inhérente à la notion d’objets-artefacts, et la céramique s’y prête parfaitement en raison de ses propriétés. La poterie est souvent présente dans les fouilles archéologiques, il est donc intéressant d’établir un parallèle en employant cette même matière mais sous une forme contemporaine. De plus, grâce à l’émaillage, j’ai pu donner un aspect craquelé, vieilli et usé par le temps à mes pièces. La céramique, étant poreuse, m’a ensuite permis de l’immerger dans une solution saline, afin d’y faire évoluer des cristaux de sel.

Je suis une plasticienne de la matière, j’ai un besoin vital de travailler mes pièces à la main, de les toucher, de tester les limites de la matière jusqu’à son point de rupture. Après avoir travaillé avec différents médiums tels que le verre, le métal, le bois ou encore le bioplastique, j’avais depuis longtemps le désir de m’atteler à la céramique. Ce projet m’a donné l’opportunité de le faire et m’a confortée dans mon envie de continuer à explorer ses possibilités.

 

Tu exposes ici dans un lieu fréquenté au quotidien par des architectes, comment cela a-t-il influencé le choix des objets que tu as conçus ?

Mon travail se fait souvent in-situ, car j’aime m’adapter au lieu et y créer des pièces spécifiques. Mon imagination dystopique se met en marche lorsque je découvre l’endroit que je vais investir. Dans le cas présent, le fait d’être dans cet openspace m’a immédiatement inspirée et m’a transportée dans le futur, imaginant les traces que cet espace de travail pourrait laisser derrière lui. J’ai donc décidé d’utiliser des symboles caractéristiques de notre ère actuelle et de jouer avec les codes de la bureautique. La disposition des différentes pièces a également été influencée par le lieu d’exposition. J’avais envie de les disperser dans tout l’espace et de leur permettre de dialoguer avec leurs homologues encore fonctionnels.